Manu, ma monnaie, marmonna Mamie. Notre Mamie ne s’arrange pas. Elle avait déjà une tendance à répépier. Et depuis le bébé, elle gagate complet. Genre « c’est que du bonheur ». Ça devient pénible, surtout pour moi, qui suis son mari. Et toutes ces rengaines. Et les corvées qu’elle m’inflige : Mets la table. Ouvre les volets. Change ta chemise. Quelle réssègue ! Il me faut trouver rapido un moyen de neutraliser ces radotages. L’idéal serait de lui engourdir la langue, juste pour qu’elle ne puisse pas parler autant. Peut-être une piqûre d’opium, une anesthésie à l’éther ?
C’est alors que j’ai entendu parler de cette exposition « Momies, corps préservés, corps éternels », visible au Museum jusqu’au 2 juillet. Et si nous faisions momifier Mamie ? J’ai parlé de mon idée à nos deux garçons. D’abord interloqués, ils m’ont ensuite donné l’impression d’avoir envie de creuser le sujet.
Et nous voilà tous ensemble partis pour la visite au Museum. Mamie est détendue, elle n’a pas l’air de se douter de quelque chose, tant mieux, il vaut mieux que ça se passe comme ça.
Nous commençons par la salle de l’Egypte antique. On y voit de véritables momies, dont celle d’un enfant particulièrement émouvante. On s’intéresse aux techniques ancestrales de momification naturelle, à base de bitume, cire d’abeille et résine. On découvre une momie qui pourrait être celle de Mamie, paisiblement allongée sur son lit. Une technique éprouvée, avec une expérience longue de cinq millénaires. Une immortalité garantie, avec en plus de bonnes chances de finir dans un musée. Voilà qui pourrait faire l’affaire. Malheureusement cette technique est trop onéreuse pour nous, avec le coût des embaumeurs, des rites funéraires et des pleureuses, sans compter le prix du sarcophage. Et en plus Mamie demande à ce qu’on fasse aussi momifier son chat, pour lui tenir une compagnie éternelle.
Nous nous sommes alors dirigés vers la deuxième salle, celle des momies andines. Accompagnées des poupées funéraires, les muñecas, elles ont un côté très séduisant. Moins sophistiquées que les momies égyptiennes, elles ne donnent pas toutes les garanties de longévité. Et puis il faudrait aller sur place, et avec la barrière de la langue, risquer que Mamie se fasse réduire la tête par des Jivaros. Mamie rigole, comme si elle ne le prenait pas pour elle.
La troisième salle est consacrée aux momies naturelles. Certaines conditions environnementales permettent en effet de préserver les corps, comme par exemple la sécheresse, le sel, les tourbières … et bien sût la glace. La momie la plus célèbre dans cette catégorie est celle d’ Ötzi, un homme momifié naturellement, vieux de 5 300 ans, qui a été retrouvé en 1991 dans un glacier des Alpes entre l’Autriche et l’Italie. Tu n’aimerais pas te faire congeler dans un glacier pyrénéen, toi qui es née à Lourdes ? Mamie répond qu’il n’y aura plus de glaciers dans les Pyrénées quand elle sera morte.
La quatrième et dernière salle présente quelques méthodes scientifiques de conservation des corps. On y découvre différentes techniques comme les inclusions dans la résine, la plastination, la diaphanisation … et bien sûr la conservation dans des fluides. Je mettrais bien mamie dans le formol. Ou dans la naphtaline. Mes enfants posent des questions bizarres. Et non, ces techniques ne sont pas spécifiques aux mamies, elles sont en quelque sorte unisexe.
Mamie me demande alors ce que je prendrais pour moi. Perso, je serais assez partisan de la cryogénisation, avec la perspective de pouvoir un jour revenir à la vie.
C’est là que les enfants me disent « eh bien va pour la cryogénisation ». Stupeur ! Je comprends tout d’un coup que mes garçons et Mamie sont de mèche et que c’est moi qu’ils ont choisi de momifier. Pourtant je suis loin d’avoir perdu la tête, mon cerveau me le dit et me le redit tous les jours.
Prochaine lettre le 6 mars, si je ne me suis pas fait congeler d’ici là.